Entretien avec Walter Hill

« Les rues de feu », enfin en vidéo.., en hifi et en stéréo. Le spectacle promet. Nous avons pour l’occasion rencontrée Walter Hill, un cinéaste de feu  à (re)découvrir. Ses films en vidéo sont autant de brasiers : « Sans retour », « Les guerriers de la nuit », « 48 heures », « Drive », etc.

Walter HillQuand on a vu «Les guerriers de la nuit» (l’implacable «Warriors»), «Sans retour», «48 heures» et l’extraordinaire «Rues de feu», on se demande a quoi peut bien ressembler l’homme qui a mis en scène ces sagas modernes. On tente, au détour d’une scène, de l’imaginer un rien «destroy», barde de cuir, a l’image de ses héros qui confondent le jour et la nuit, l’ordre et le désordre, le bien et le mal. Puis, on se plait à trouver au cinéma de Walter Hill une certaine poésie, voire do romantisme tant ii joue à plaisir des facettes. Walter, n’est rien de tout cela. Grand, large et rond, disons même grassouillet, il est l’image même de la gentillesse. Affable, s’excusant presque qu’on ait envie de lui parler, de le trouver intéressant… Et pourtant. Son histoire ressemble presque à du Dickens, le cinéma n’était pas son but : «Je suis entré dans le circuit par une série de hasards heureux. J’avais 24 ans et je voulais devenir journaliste. Puis, j’ai décidé de gagner ma vie honnêtement (merci !…). On m’a proposé alors de faire de la recherche pour un film éducatif et je me suis retrouvé dans le circuit… Vous savez, j’ai grandi à L.A., un jour ou l’autre, on finit toujours par se retrouver du côté de East Hollywood». Le circuit, c’est avant tout des histoires. Walter Hill adore en raconter. Des dures, bien saignantes. Il écrit donc des scénarios où le 357 Magnum a autant la parole que les acteurs. C’est «Le guet-apens», que Peckinpah met en scène avec Steve McQueen et «McIntosh man» avec Paul Newman. A Hollywood, il n’en faut guère plus pour être en lice. Walter Hill continue donc sur sa lancée et se met à sa table. Un chef-d’œuvre en sort : «Alien». Il fallait bien qu’un jour Hill passe derrière la caméra. Consécration de beaucoup de scénaristes, la réalisation les chatouille un jour ou l’autre. Et puis, c’est toujours frustrant d’écrire des histoires et de confier à d’autres le soin de les mettre en images. Walter Hill saute le pas avec «Le bagarreur» dans lequel il dirige James Coburn et Charles Bronson. Deux gueules. Sa pointure. Puis suit «Driver» et enfin «Les guerriers de la nuit» le révèle au monde. Son «Warriors», l’histoire de ces bandes qui s’affrontent à New York, permet à Hill de jeter un regard nouveau sur le monde souterrain des grandes villes. La rue a remplacé l’Ouest sauvage si cher aux «westerners», la batte de base-ball et le couteau ont supplanté le colt et la winchester. Hill apporte au cinéma une nouvelle race de héros, de ceux qui ne sont pas encore entrés dans la mythologie américaine. «Mais cela va venir, dit-il, la rue en cette fin de 20e siècle est le seul endroit où l’aventure peut encore se rencontrer. Et par déduction, mes personnages sont ceux qui vivent dans les rues : les bandes organisées, les truands, les enfants des ghettos. Ils ne sont pas encore des héros au sens habituel du terme, parce qu’ils n’ont pas la morale commune, mais d’un autre côté, ils sont régis par un code d’honneur et des lois souvent plus rigides. La vie rude des pionniers a totalement disparu, les vraies jungles se trouvent maintenant dans les villes, pour nous Américains. La rue permet à l’homme de retrouver son ancien sens de la combativité, de l’agressivité. Vous êtes-vous déjà promené dans certains quartiers la nuit ? Vous pouvez facilement vous faire tuer. Et je pense que c’est cette vision réelle des choses qui a fait le grand succès des «Guerriers de la nuit». Le public retrouvait sur l’écran la matérialisation de ses angoisses». Son sens de la combativité et de l’agressivité, l’homme va pouvoir en donner toute sa mesure dans «Sans retour», que réalise Walter Hill juste après «Le gang des frères James».Walter Hill2 « Sans retour » est une espèce de « Délivrance » à la mode cajun. Le combat implacable de paysans des marais de la Floride contre une bande de gardes nationaux en exercice. Le ton monte rapidement, ce cauchemar boueux confirme les dons de Hill pour les histoires dans lesquelles l’homme révèle sa nature première… oubliant vingt siècles de civilisation. On se plaît à penser que rien n’a bougé au royaume des humains et «Les rues de feu» en est la plus forte illustration. «Les rues de feu» (Walter Hill qualifie son film de «fable rock») est un projet qu’il caressait depuis longtemps. Sitôt le dernier plan de  » 48 heures » tourné, il s’attelle à la tâche.  «C’est un film que je portais en moi depuis longtemps, l’écriture nous a pris très peu de temps. J’y ai mis beaucoup de choses personnelles, des références à mon adolescence : des analogies au western, une parodie de certains films d’Howard Hawks… Et surtout beaucoup de rock and roll. L’idée en faisant ce film était de se  payer du bon temps». Car il y a le rock, le vrai, celui qu’a connu Walter Hill dans son adolescence (il est né en 1942 et avait donc 16 ans à l’éclatement des Presley, Cochrane et autres Holly…). Un rock pur, dur qui vient rythmer une action, elle aussi, qui tient plus du baston que d’un ballet de petits rats. L’histoire est éternelle. Tom Cody, interprété par l’envoûtant Michael Paré (la coqueluche de ces dames, le regard romantique, la mèche coquine à la Brian Ferry) va voler au secours de son ex-girl -friend quand celle-ci est kidnappée par Raven, le chef des Bombers, les infâmes, les pas beaux. Elle, c’est Diane Lane. Ce qui se fait de mieux en ce moment de ce côté de Sunset Boulevard. Elle a déjà fait craquer Coppola par trois fois («Rusty James», «Outsiders» et «Cotton Club». Un palmarès de premier de la classe…) et on le comprend en la voyant ! Naturellement, Tom Cody n’aura de cesse que d’aller délivrer sa belle. Je ne serais pas complet si je ne vous disais pas deux mots des Road masters, des charognards qui profitent du bordel créé par les Bombera pour investir Richmond au bruit de leurs gros cubes. Presque du Shakespeare ! Avec une énorme différence toutefois : la barre à mine, les 750 Kawa et les riot gun à canons sciés n’ont jamais été prisés par l’auteur de «Roméo et Juliette». Pas plus qu’un rock d’enfer qui noie tout le film sous des flots de décibels. Pour sa fable, Walter Hill a fait le recensement de toute la punktitude. Les hordes de motards ont été recrutées directement à Los Angeles parmi les Hell’s Angels du coin, inutile de décrire la tronche qu’ils ont. Certains lieux ont été reconstitués en studios, pour d’autres Hill a tourné dans des usines désaffectées, comme la boîte où est entraînée Ellen, qui demeure un chef-d’œuvre du genre. Son aventure, Walter Hill la maîtrise de bout en bout. Pas une minute de repos, une structure de western, saupoudrée d’un zeste de BD. Et Hill de reconnaître : «C’est vrai que Tom Cody n’est pas très éloigné de ce que je fus. On met toujours un peu de soi dans ses personnages. A son âge, je cognais aussi fort et tirais aussi juste». Quand on voit la largeur de ses épaules, et la rage de Tom Cody, on se dit que Walter Hill a dû connaître des nuits au poste dans sa jeunesse. Devait pas faire bon, alors, de lui marcher sur ses pompes en daim bleu…