Suite et fin de l’interview

Giscard Pour une fois, les constructeurs européens sont une chose formidable que MM. Chirac et Giscard ont détruite. Comme ce sont des épiciers, ils ont « dérégulés » l’audiovisuel pour permettre aux mercantiles de faire de l’argent. Tous les contribuables peuvent être furieux car ce sont eux qui ont payé, par l’intermédiaire de la redevance, l’infrastructure de la télé nationale. La France est le seul pays qui ait sacrifié sa télé publique. Dans les autres pays européens, la Rai, la BBC et ZDF existent encore. La télé publique française est totalement en perdition et, aujourd’hui, son instrument de fabrication, la SFP, est menacé de mort. Les gens qui travaille à la SFP ne font pas ce métier par hasard, et les licencier est un véritable meurtre intellectuel. Je suis rentré à la télé en 1950. J’avais vingt-deux ans. Et aujourd’hui, je vois se détruire quelque chose que j’ai aidé à construire. La déception des gens de ma génération est immense. Tous les gens de ma promo de l’Idhec ont choisi de faire de la télévision et non pas du cinéma. C’est vous dire les espoirs que l’on plaçait en elle. J’ai été voir, à titre personnel, tous les conseillers des ministres et ils m’ont, en gros, répondu : «Vous nous casser les c… avec votre télé. Elle est très bien comme elle est.» Pourtant, à l’heure actuelle, ce n’est plus qu’un égout à images avec quelques stations d’épuration qui s’appellent la 2, la 3 ou la 7. La télévision mérite mieux que la manière dont on la traite.
C’est ce genre de déclarations qui m’a valu dix ans de non-travail.
Lorsque l’on regarde les télévisions des autres pays, on ne peut pas dire que la situation soit vraiment meilleure. L’absence de la qualité n’est donc pas véritablement une spécificité française. Le vrai problème est que l’on veut absolument que notre télévision ressemble à celle qui est faite aux Etats-Unis. Mais aux States, il n’y a que des program-‘ mes réalisés par des Américains, pour des Américains, avec des acteurs américains. Ils sont d’un Chiracprotectionnisme incroyable et ne laissent aucune place à des programmes étrangers même anglais. On croit toujours qu’il règne dans l’univers audiovisuel américain une concurrence effrénée. C’est absolument faux. J’y ai travaillé pendant quatre ans et je peux vous dire que les grands networks marchent main à la pointe en matière de technique audiovisuelle.
dans la main. Par exemple, ils s’entendent pour ne pas passer leurs pubs à la même heure. Nous sommes loin des pitoyables empoignades verbales des différents patrons des chaînes françaises. Il faudrait plutôt qu’ils songent à faire une télé hexagonale.
Croyez-Vous que cette situation soit irréversible?
La crise actuelle de la télé est esthétique, éthique et morale. Attention, quand je dis morale, cela ne signifie pas que les programmes doivent être inspirés par la devise «travail, famille, patrie». Je n’ai rien contre les films pornos, par exemple. Remarquez que je préfère faire que regarder. Bien qu’à mon âge, on est un peu amorti. Cela vous arrivera, vous verrez. D’abord, on se dit que c’est toujours pareil et, ensuite, que c’est fatiguant pour la santé. On préfère inviter ces dames à déjeuner plutôt que de les sauter dans un lit. Elles sont déçues et disent : «C’est tout ce qui lui reste? Eh bien, il en promettait plus qu’il n’en tient.» Fin de la digression. La télé aurait pu devenir l’opéra du XXe siècle. Il y a vingt ans, la télévision était agressive, contestée, contestataire… Elle affirmait un véritable renouveau de l’expression. Aujourd’hui, elle fait du rase-mottes et ne parle que de violence et de sexe mal lavé. La télé traite de tout sauf du rêve. On vous rappelle sans arrêt que la vie est précaire et difficile. On vous apprend que celui qui gagne à «La roue de la fortune» est un génie. Jamais on ne met en exergue le bonheur et la joie de vivre. C’est le véritable drame de la télévision aujourd’hui.
Avez-vous conscience d’être la «vitrine» de la TVHD européenne dans sa lutte effrénée contre le projet des Japonais?
Cette guerre commerciale me dépasse totalement. Ce qui est sûr, c’est que je suis un réalisateur français qui travaille en France et qu’aujourd’hui, je défends ce projet avec Thomson et la SFP. Je me méfie des Japonais. En 1941, un amiral japonais avait dit «Nous gagnerons cette guerre en l’an 2000. » C’est ce qu’ils font grâce à leur capacité économique. Je n’ai aucun respect pour eux. Les Japonais pratiquent l’espionnage industriel systématique. Ils sont dangereux. Même si les Européens sont un peu en retard, c’est bien qu’ils se soient mobilisés pour les contrer.
Il paraît que François Mitterrand n’a pas eu l’autorisation de voir votre prochain film…
Un dossier classé secret-défense qui met en cause les plus hautes sommités de l’Etat! Non, un peu de sérieux, il s’agit de «L’opération Corned-beef », une comédie d’espionnage avec un maître-espion interprété par Jean Reno, aux prises avec un couple de Français moyens, Valérie Lemercier et moi. C’est un film baroque et un peu fou, comme Jean-Marie Poiré adore en faire.
C’est la cinquième fois que vous tournez un film ensemble…
Oui, nous formons un vrai couple… professionnel. On n’a d’ailleurs pas fini d’explorer la totalité des choses qu’on peut faire ensemble dans la connerie.
Quels sont, dans l’ordre, vos coups de cœur parmi ces cinq films ?
« Le père Noël est une ordure» et «Papy fait de la Résistance». «Twist again à Moscou» a peut-être été un peu trop en avance sur son temps.
Vous est-il arrivé de regretter un film ?
« Rock and Torah », de Marc-André Grynbaum. Il m’avait vendu un scénario voyou et intéressant. En fait, c’était un escroc et je me suis fait avoir. Les autres, je les assume totalement, avec leurs qualités et leurs défauts.
Vous avez bon caractère sur un plateau ?
Je me laisse diriger tout en restant très exigeant. Le principe dans le comique, c’est qu’il faut se donner. Alors j’ai besoin de beaucoup, beaucoup d’énergie. Si on n’est pas généreux, il n’y a aucune chance de faire rire qui que ce soit.
Et dans la vie, vous avez bon caractère ?
Non, très mauvais. Je suis assez irascible et coléreux, mais j’ai des qualités immenses à côté! (Rires). Vous n’avez jamais été tenté de passer derrière la caméra comme vos petits camarades du Splendid ? J’ai déjà fait une mise en scène de théâtre. Mais tout ce qui est technique de cinéma, montage… me fait chier prodigieusement. Je préfère écrire pour les acteurs. En plus, j’aime bien le rapport d’équipe avec le metteur en scène.
N’êtes-vous pas lassé à force de jouer trois cents fois la même pièce?
L’acteur est un «feignasse» de bas niveau. Si on ne le pousse pas à coups de pied dans le cul, il ne progresse pas. Le théâtre, c’est un défi à relever contre l’usure, la routine. L’acteur, c’est comme un muscle. Aussi formidable soit-il, il devient tout petit, rabougri et merdeux à la fin s’il ne travaille plus. Les grands acteurs de cinéma sont aussi des grands acteurs de théâtre. Si je crois en une règle, c’est bien en celle-là…
Vous ne pouvez vraiment pas vous passer de votre femme, Marie-Anne Chazel, sur scène ?
On ne décide jamais de jouer ensemble pour jouer ensemble. Quand une occasion se présente, tant mieux. Le seul problème est que notre fille ne profite pas de nous dans ces moments-là. Dans «La dame de chez Maxim’s», de Feydeau (à partir du 20 janvier au Théâtre Marigny, NDLR), elle a le rôle de la Môme Crevette qui ne cesse de me miner la vie. Simple coïncidence…
Y a-t-il d’autres actrices qui vous font rêver?
Kathleen Turner peut-être. En tout cas, des actrices très belles qui ont aussi le sens de la comédie. On a un problème en France parce qu’on a l’impression que les «jolies» ne peuvent pas jouer des comédies, mais seulement être bien photographiées dans des histoires souvent insipides. Dans « L’opération Corned-beef», j’ai été ravi de tourner avec Valérie Lemercier, qui est une jeune actrice diabolique!
Vous avez vu son spectacle au Splendid ?
Elle était déjà géniale dans «Le fil à la patte» et son one vvoman show est vraiment très bon. Comme celui de Pierre Palmade d’ailleurs. Tous les deux font partie d’une jeune génération qui aime faire rire. Ils aiment le contact avec le public. C’est une bonne leçon pour les médias, pour la presse qui est souvent battue et distancée, qui n’a vu passer ni « Le grand bleu» ni les grands comiques et qui s’arrête formidablement sur un réalisateur de série Z.
Christian ClavierÇa vous énerve de lire dans la presse : « Christian Clavier, carrière sans importance… ».
Carrière sans importance à partir du moment où vous faites du comique! C’est un classique de la presse, il faut essayer de ne pas trop s’en préoccuper…
Et quand vous lisez : « Clavier, superbe dans Feydeau »… Moi, j’essaie seulement de continuer à faire ce qui me plaît. Je n’ai pas du tout l’impression de faire des choses complaisantes ou encore dégradantes. Je fais du comique parce que j’aime ça et que c’est une démarche sincère et authentique de ma part.
Vous avez été à bonne école ?
Tatie Danielle (Tsilla Chelton) était notre professeur au Splendid. Elle nous a appris à jouer formidablement la comédie. A soixante-douze ballets, elle tourne avec Chatiliez. Ça fait plaisir.
Avez-vous un père spirituel?
Non, plusieurs comiques m’épatent. Poiret, Maillan, Serrault, de Funès, Mondy, Peter Sellers, Blake Edwards. Sans parler de Gabin, Simon, Raimu ou Bourvil, héros du vrai cinéma populaire dans le bon sens du terme.
Vous n’avez jamais été tenté de vous impliquer davantage dans les rôles dramatiques?
Si on m’en propose, tant mieux, mais je n’ai pas de frustration particulière. Je ne vais tout de même pas m’écrire ce genre de rôles pour que Clavier puisse décrocher un César. C’est de la connerie.
Justement, les Césars, pour vous, c’est quoi?
C’est flatteur pour les gens qui les reçoivent. Et puis si ça fait un peu plus aller les gens au cinéma, pourquoi pas… Très honnêtement, je m’en fous. Je trouve que ça porte plutôt malheur. Les acteurs qui l’ont reçu n’ont pas véritablement vu leur carrière prendre un tournant fantastique !
Ça vous a plu de charger Christophe Dechavanne comme vous l’avez fait lors de la centième de «Ciel mon mardi !»?
C’est lui qui m’a appelé, et un quart d’heure avant le début de l’émission, il m’a dit : «Tout est bidonné ». Alors j’ai foncé. J’ai fait ce qu’on a fait vingt fois quand on était au Splendid. Il a un peu été dépassé par les événements. Et ça j’aime bien… De toute façon, Dechavanne a été content du résultat. On a fait une émission de télé marrante et tout le monde y a cru jusqu’au bout… Les retombées presse ne lui ont pourtant pas été favorables… Se caricaturer et faire de l’autodérision, on a l’impression que c’est un péché mortel dans ce pays. Pourquoi ?, ça c’est une vraie bonne question. Je crois pourtant que le rire est la dernière chose subversive. C’est un vrai remède aux angoisses du quotidien. Le reste…
Vous êtes sportif?
Quand je joue au théâtre. Deux heures de scène, c’est un effort physique qui nécessite d’être en forme. Alors je cours…
Vous iriez faire le marathon de New York avec François Léotard?
Non, parce que ça me casserait le dos. Et, en plus, j’éviterais de le faire avec François Léotard.
La politique me fait assez rire. J’aime beaucoup le côté langue de bois. La politique nous concerne tous, mais je suis très agacé par les hommes, de droite comme de gauche. Ceux qui trouvent plus flatteur d’être d’habiles politiciens plutôt que de bons ou grands politiques, ceux qui ne prennent jamais de grandes décisions pour critiquer ensuite. Ils sont extrêmement malins… Je dis chapeau à la performance d’acteurs. Mais enfin, c’est nous les comédiens!
Vous votez pour qui ?
Je ne me permettrais pas de donner mes opinions politiques. Les acteurs-chanteurs qui le font me dérangent beaucoup.
Que vous reste-t-il des événements de mai 68 ?
A dix-sept ans, tout ça me faisait déjà marrer. La seule chose que je garde de cette époque est la musique. Depuis, un certain nombre d’illusions ont volé en éclat. Depuis, on est entré dans une période plus conventionnelle.
La télévision fait-elle partie de votre vie ?
Je m’en méfie un peu. Le Watergate, la manipulation politique du coup d’Etat en Roumanie, tout ça me fait un peu peur… Autrement, je regarde les émissions en direct, rarement un film.
Et la vidéo?
Je n’aime pas ça! Sauf si j’ai déjà vu le film en salles. J’ai besoin d’une certaine ambiance.
Vous sortez certainement beaucoup…
Je vais pas mal au cinéma, au théâtre… De toute façon, quand c’est du spectacle et que ça a trait à l’émotion, je suis client. Si ça s’adresse d’abord à l’intellect, ce n’est pas franchement mon truc. Alors je préfère lire et faire marcher mon imagination…
Vous vous faites rire ?
Je ne suis pas client de moi. Chez moi, ce n’est pas truffé de photographies de Clavier. Ça me ferait plutôt rire, dans le mauvais sens du terme…
Dans la vie, jouez-vous la comédie?
Je n’irai pas jusqu’à faire comme Jean Carmet, me mettre une soutane pour me faire inviter à déjeuner dans un petit village… Mais je suis tout de même assez friand de ce genre de conneries.
Quel genre de personnages vous épate?
Je suis toujours fasciné quand j’entends parler de gens comme Sartre, Foucault, Aron. Des artistes aussi, comme Milos Forman, Laurence Olivier, Jacques Brel, Bob Dylan ou Monet m’épatent.
Vous n’avez pas envie de rejouer avec vos potes du Splendid?
C’est presque impossible. Nous avons toujours la même façon de rire, mais nous avons peur de ne pas avoir la même verve qu’avant. Le phénomène que nous avons déclenche nous a dépassés. Nous n’avons pas envié de décevoir. «Le père Noël…» a tellement été mythifié que nous sommes maintenant sur un terrain glissant. Mais c’est vrai que ça pourrait être délirant. On verra bien…
Vous auriez donné cette interview si vous n’aviez rien eu à vendre?
Non, j’aime bien parler de quelque chose. Je ne vais pas aller parler de moi pendant des heures, c’est le piège absolu dans lequel je ne veux pas tomber. Je n’ai pas envie de devenir un gros con qui parle de lui en permanence en pensant que tout ce qu’il dit sur tout est intéressant.
C’est peut-être parce que je n’ai pas confiance en moi.
Vous avez des rêves?

Oui, je rêve beaucoup et surtout pendant la nuit…